Vivre dans la peur
Tokyo, 1955. Kiichi Nakajima est un industriel proche de la retraite qui n'a qu'une idée en tête : s'exiler le plus vite possible. Ce chef de famille souhaite en effet se protéger, protéger les siens d'une menace qu'il juge très sérieuse, imminente : la menace nucléaire. Persuadé que le Brésil est suffisamment éloigné des radiations en cas d'attaque, il décide d'y acheter des terres, souhaite réunir l'argent nécessaire en vendant tous ses biens, y compris son usine. Ses enfants, sa belle famille, perplexes, refusent de le suivre, lui intentent un procès pour bloquer sa fortune, ainsi contrecarrer ses projets. A bout d'arguments, épuisé, violent, l'industriel met alors le feu à sa propre fabrique de charbon. Ce geste désespéré est interprété comme de la folie, le vieil homme est immédiatement interné'
Ce film est d'abord, avant tout un film sur la peur,, sur les dégâts irrémédiables que la peur, raisonnée ou non, peut engendrer sur celui qui l'incarne ou la transmet. A ce titre, le film de Kurosawa est une terrifiante vision d'une vie qui bascule dans la tourmente, sans que rien ni personne ne puisse stopper cette vertigineuse plongée vers l'abîme. C'est également un film dans la lignée des films de 'témoignages' sur l'horreur atomique (vécue par les habitants d'Hiroshima, de Nagasaki) parmi lesquels on peut par exemple citer Les Enfants d'Hiroshima de Kaneto Shindo (1953), Hiroshima de Hideo Sekigawa, (1953), Pluie noire de Shohei Imamura, (1989). C'est enfin une description âpre, sans concession du Japon de l'après-guerre, comme Kurosawa l'avait déjà montré dans L'Ange Ivre (1948) ou Chien enragé (1949). Toshiro Mifune campe ici ce patriarche à la dérive, illuminé, ou visionnaire, dans une interprétation tout simplement extraordinaire.